Le libre-échange entraîne une grande perte de souveraineté au niveau local principalement à cause de l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC.
La Suisse a signé l’AMP en 1999 et ratifié ses multiples révisions, dont la dernière en date est entrée en vigueur en 2021. Cet accord sert de référence de base dans tous les accords de libre-échange, qu’ils soient bilatéraux comme avec l’UE ou multilatéraux.
L’AMP fixe des règles très strictes en matière d’ouverture des marchés publics, c’est-à-dire des projets dans la construction, l’achat de fournitures et de services (avec quelques rares exceptions). L’accord oblige les collectivités publiques à lancer un appel d’offres dès qu’un projet dépasse un certain montant. Cette obligation s’impose aux entités publiques – à tous les échelons des administrations fédérales, cantonales et communales – ainsi qu’aux aux entités parapubliques (transport public, services des eaux, poste, etc.)
Concurrence déloyale, discrimination des PME
La législation en la matière mentionne noir sur blanc des buts de « concurrence efficace » et de « non discrimination et égalité de traitement » (ex. GE-RMP Art16 et Art17). Pourtant dans les faits, sa seule efficacité réside dans l’exclusion des petites et moyennes entreprises via ces procédures complexes. Répondre à ces appels d’offres est chronophage et nécessite des compétences spécifiques pour répondre avec précision à toutes les exigences complexes et les subtilités légales. La majorité des petites et moyennes entreprises n’a pas les moyens et est exclue de facto de la course.
Pour les grands projets (de construction notamment), ce sont de grosses entreprises « générales » qui posent leur candidature sur le projet global et sous-traitent ensuite la réalisation concrète à plusieurs entreprises. Pour remporter la mise, elles exercent une pression sur les prix qui poussent les sous-traitants au dumping ou au non-respect des normes de travail ou environnementales.
Dans les faits, l’AMP génère donc une concurrence déloyale, discriminante pour les PME et aux effets collatéraux très néfastes.
Perte de souveraineté locale
A l’échelon communal cette obligation légale représente une contrainte particulièrement lourde. Le processus est long, compliqué et plein de détails formels et d’écueils légaux subtils. Formuler les appels d’offres nécessite des compétences juridiques poussées et ces coûts sont à la charge des citoyen·nes via les impôts.
Les directives sont très strictes non seulement sur la liste des critères admis, mais aussi sur leur pondération, c.-à-d. leur poids respectif dans la décision finale. En général, le critère de prix a le plus de poids et c’est donc l’offre la plus avantageuse qui l’emporter. Exemple: le Canton de Genève recommande une pondération d’au minimum 20% pour le prix et seulement 5% pour la formation (apprentis, stagiaires, etc)…
Les communes pourraient tenter de favoriser les entreprises locales en fixant des critères spécifiques, mais le diable se cache dans les détails. Quelques exemples:
– Définir des critères trop restrictifs afin de favoriser les partenaires habituels ou locaux, est considéré comme une entrave à la concurrence (L’Aéroport de Genève Appel d’offres: l’aéroport se fait taper sur les doigts – 20minutes 18.03.2021).
– Certains projets spécialisés nécessitent des équipements coûteux, mais même si une entreprise s’engage à s’équiper le moment venu, elle ne peut pas être sélectionnée (La Commune neuchâteloise de Milvignes n’aurait pas dû attribuer… – TdG 30.07.2019).
Et même si la Commune réussit à formaliser des critères favorable aux entreprises locales, ces dernières sont bien souvent découragées par le processus et renoncent à répondre à l’appel d’offres.
Perte d’expertise locale
L’AMP oblige également la remise au concours périodique des marchés des services. En plus des coûts financiers, cela peut entraîner une perte de savoirs-faire locaux.
C’est par exemple le cas en matière d’expertise et de conseil en urbanisme ou en environnement. Les bureaux d’études locaux sont plus à même de répondre aux attentes des projets, de par leur proximité avec le terrain, leur connaissance de la législation et des procédures spécifiques de l’administration régionale. Mais d’une part, une entreprise ayant déjà eu un contrat de même nature avec le mandataire n’a en principe pas le droit de re-soumissionner, sauf exceptions dûment motivées dans l’appel d’offres. D’autre part, les bureaux locaux n’ont souvent ni le temps ni les ressources pour répondre à ces appels d’offres. Du coup, ces marchés sont trop souvent attribués à de grands groupes internationaux, au détriment de celles et ceux qui maîtrisent réellement tous les enjeux locaux du projet.
Répercussions sociales
L’impact social ne se résume pas à priver les PME et les indépendant·es de mandats publics, mais il touche également les salarié·es. La remise au concours périodique a un impact sur de nombreuses places de travail. C’est le cas par exemple des services d’assistance au sol de l’aéroport de Genève : chaque adjudication de la concession à une nouvelle entreprise entraîne de nombreux licenciements. Avec en cas de réembauche par la nouvelle entreprise des baisses de salaire, une précarisation de l’emploi et un affaiblissement des pouvoirs de négociation syndicale.
Qui paie cette casse sociale? Encore un fois les citoyen·nes via les impôts…
Procédures juridiques
En plus de la complexe mise au concours de ces appels d’offres, les entités publiques et parapubliques sont souvent confrontées à des recours en justice. Tel concurrent estime avoir été discriminé par rapport aux autres, tel ou tel critère était trop restrictif, les motifs sont multiples et requièrent l’assistance d’avocat·es spécialisé·es. Les procédures sont longues et onéreuses ; la facture est une fois de plus supportée par les citoyen·nes via les impôts…
Mains liées et bouches cousues
Cette ouverture forcée des marchés publics entre donc très souvent en contradiction avec les valeurs et les politiques prônées par nos élu·es. Défendre l’économie locale, le bien commun, les services de proximité n’a que peu de poids face aux critères de l’AMP. La Confédération l’a signé et mis en œuvre et nos administrations publiques locales ont les mains liées dans ce dossier. Aucune voie de recours n’est possible et la doxa du néolibéralisme imprègne tous les discours. Quand les autorités de surveillance s’expriment, comme par exemple les Cours des Comptes, elles se bornent à relever les manquements au droit supérieur et à recommander une meilleure formation des employé·es de l’administration en charge de ces dossiers… donc encore des frais supplémentaires à la charge des citoyen·nes…
Il est impossible de lister toutes les atteintes au bien commun, ni de chiffrer tous ces frais à charge des collectivités induits par l’AMP. La règle d’or du libre-échange règne en maître: instituer la loi du plus fort au détriment de la diversité économique et de la collectivité.
Retrouvons notre souveraineté!
Seul le peuple a le pouvoir d’exiger de retrouver la part de souveraineté qui lui a été volée ; en se mobilisant et en utilisant les outils de la démocratie directe.
La Vrille s’y emploie: nous demandons que la Suisse remette en cause les termes et les objectifs de l’Accord sur les Marchés Publics de l’OMC. Il faut sortir des principes biaisés du libre-échange et instaurer des règles garantissant une concurrence juste et loyale, pour des échanges économiques respectueux des droits sociaux et environnementaux – des échanges respectueux de la souveraineté des peuples.
Les Bilatérales III avec l’UE sont sur la table,…
La Vrille