Libre-échange: des pertes financières durables

Les pertes financières induites par le libre-échange ne sont jamais évoquées. D’un côté, les taxes réduites ou exemptées représentent des sommes colossales soustraites aux budgets des Etats. De l’autre, la facture des dégâts environnementaux et sociaux est à charge des individus et des collectivités. Au total, ces pertes sont inquantifiables, mais bien « durables »…

Baisse des taxes douanières

En 1961 les taxes douanières représentaient encore 24% des entrées financières de la Confédération. Au fil des ans, ce % a été raboté par les accords du GATT, puis par ceux de l’OMC et ensuite par une succession ininterrompue d’accords de libre-échange conclus par la Suisse. En 2023 les taxes douanières ne représentaient plus que 1,51% des entrées financières de notre pays.

Comme si cela ne suffisait pas, le 1er janvier 2024, la Suisse a aboli toutes les taxes sur tous les produits industriels, creusant encore plus ce déficit d’entrées financières:

Remarque: les valeurs pour les années 2023 à 2027 correspondent au budget et au plan financier. À partir de 2024, elles intègrent uniquement les recettes douanières provenant des importations agricoles.
Source: 1990-2027: Portail de données de l’AFF (séries de données «1.1.7 Droits de douane» et «1. Recettes courantes»); 1950-1989: statistique historique de la Suisse HSSO, série de données U.18 «Recettes de la Confédération, par groupes spécifiques, de 1950 à 1989 (en millions de francs)» / La Vie économique

-> voir graphique original interactif – La Vie économique (SECO) 10.06.2025

Comme on le voit sur le tableau ci-dessus: en 2022 les recettes douanières s’élevaient à CHF 1’200 Mios, alors que les prévisions pour 2025 prévoient seulement CHF 630 Mios, soit une baisse de presque 50%. Les taxes douanières restantes proviendront uniquement des produits agricoles et ne représenteront alors plus que 0,7% des entrées financières de la Confédération.
Dans ce domaine la Suisse se distingue par son zèle, puisque les pays ayant aboli les taxes douanières se comptent sur les doigts d’une main (Singapour, Hong Kong, Macao,…)3.

Gros profits pour qui?

En 2020, le SECO a publié une étude de l’Université de St-Gall concluant qu’en 2018 les accords de libre-échange avaient permis aux importateurs d’économiser 2,5 milliards et aux exportateurs environ 1,8 milliard de francs en droits de douane.

Importateurs et exportateurs en profitent donc largement. Mais c’est aussi toute la chaîne de distribution qui en profite, la grande distribution et les hard discounters qui de surcroît n’hésitent pas à baisser leurs marges sur ces produits indécemment bon marchés pour en faire des produits d’appel et augmenter leurs marges sur les produits suisses déjà malmenés par la concurrence étrangère. Des profits immenses qui finissent dans les poches de quelques négociants, grandes entreprises et multinationales qui arrosent leurs actionnaires d’une main et pressurisant leurs employé·es de l’autre.

Pertes pour qui?

Les producteur·ices et les PME suisses sont les plus grand·es perdant·es de cette quasi-abolition des taxes douanières. Les coûts, les conditions et les normes de productions ne sont pas identiques d’un pays à l’autre et le libre-échange engendre une très forte distorsion de concurrence : les fabricant·es et producteur·ices suisses ne peuvent pas régater avec les prix trop bas des produits importés.

La Confédération met en avant que les consommateur·ices en profitent aussi via des produits peu chers, mais elle omet volontairement de mentionner ce que les citoyen·nes perdent dans ce jeu de dupes. Moins de taxes de douanes, c’est moins d’argent dans les caisses de l’Etat, moins d’argent pour le bien commun et moins d’argent pour réparer les dégâts provoqués par le libre-échange.

Durabilité des pertes

Au déficit financier des taxes non prélevées il faut ajouter tous les coûts cachés du libre-échange:

Les dégâts environnementaux entraînent non seulement des coûts de dépollution et de gestion des déchets, mais également une augmentation des problèmes de santé, une perte de la biodiversité, etc. Donc des pertes durables, à charge des individus et des collectivités.

• Les dégâts sociaux sont également très lourds. Un exemple emblématique: IKEA produit l’essentiel de ses meubles en Asie dans des pays où les salaires sont très bas et le syndicalisme muselé. Les meubles sont importés en Suisse sans droits de douane depuis le 1er janvier 2024. Ils sont acheminés vers les dépôts et magasins en utilisant les infrastructures de transport suisses sans jamais avoir contribué ni à leur construction, ni à leur entretien. Les employé·es suisses qui vendent ces meubles reçoivent un salaire trop bas pour vivre sans l’aide de l’Etat (subventions pour caisse maladie, aides diverses, voire même jusqu’à l’aide sociale). Ces meubles ne sont souvent pas réparables et leur bas prix encourage une surconsommation qui vient engorger les déchetteries financées par nos impôts. En parallèle menuisiers et ébénistes ont presque complètement disparu du paysage et ce qui subsiste du métier a complètement perdu son sens: un menuisier ne fabriquera de fenêtres que durant son apprentissage, tout le reste de sa carrière il ne sera qu’un poseur de fenêtres préfabriquées et formatées.
Les pertes pour la collectivité sont donc incalculables, alors que les gains pour les actionnaires d’IKEA sont faramineux. Sans compter que le fondateur d’IKEA a accumulé une des plus importantes fortunes au monde…

Pertes pour tous les peuples

Les pays en développement membres de l’OMC et/ou signataires d’accords subissent aussi de nombreux effets pervers du libre-échange. Exemple: selon le Conseil fédéral, l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR permettra aux exportateurs suisses des économies sur les taxes douanières jusqu’à 180 millions de francs par an, donc des taxes que les pays du MERCOSUR auraient dû percevoir sur leurs importations. Des millions qui manqueront à ces États pour couvrir des besoins essentiels de leurs populations en santé, éducation ou autre. Au Brésil, 3,8 % de la population vit avec moins de 3 $ par jour ; au Paraguay il n’y a qu’un lit d’hôpital pour 1’000 personnes contre 5 en Suisse4 ; pour ne prendre que ces 2 indicateurs de développement parmi de nombreux autres… Des besoins sociaux qui ne feront qu’augmenter suite à l’entrée en vigueur de cet accord du MERCOSUR5, alors même que les entreprises qui en tirent bénéfices ne sont que très rarement tenues pour responsables des dégâts qu’elles causent.

Coûts cachés de la libéralisation des services

Le tourisme est aussi un bel exemple des coûts cachés du libre-échange6. Pour de nombreux pays en développement le tourisme semble être une source de devises et de création d’emplois. Dans les faits, les conditions de travail restent souvent précaires, les salaires très bas et 10% des travailleur·euses sont des enfants. De plus, le prix payé par le touriste pour son voyage ne reste pas dans le pays destinataire: hôtels, restaurants et agences appartiennent à de grands groupes internationaux ; sans compter les nombreux produits qui doivent être importés pour satisfaire cette clientèle touristique exigeante. Au final, dans les pays en développement il ne reste en moyenne que 50% des dépenses des touristes. Il s’agit d’une moyenne et certaines îles isolées n’en retiennent que 10%, alors que pour d’autres le tourisme est carrément une perte.

Non seulement les bénéfices finissent dans les poches de compagnies étrangères, mais en plus l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC interdit à ces pays de prélever des taxes douanières, les privant donc de moyens pour financer leurs infrastructures ou réparer les multiples dégâts sociaux entraînés par le tourisme (travail des enfants, perte de métiers traditionnels, manque d’eau, accaparement des terres, privatisations, spéculation, violation des droits des autochtones,…)

Réaffecter des fonds utiles à tous

Au fil des multiples accords de libre-échange signés, l’addition de toutes les taxes exonérées représente une somme colossale, à quoi il faut ajouter les incalculables coûts cachés. Une perte assumée collectivement par les populations, pour le plus grand bénéfice de quelques grandes sociétés et multinationales. Une aberration qui doit cesser!

La Vrille insiste que l’argent des taxes est légitime. Il doit servir pour le bien des populations [lire Taxes utiles à tous]. Certains pays en ont un besoin crucial pour financer leur développement et les pays les plus nantis pourraient l’utiliser pour financer la transition climatique et assurer un environnement naturel et social sain pour toutes et tous.

Restez informé·es des campagnes référendaires à venir:

Notes :

  1. Histoire des douanes suissesMarco Polli-Schönborn – La Vie Économique (SECO) 10.06.2025
    et son Graphique interactif: part des droits de douanes dans les recettes fédérales 1950-2027
  2. Moniteur ALE – informations relatives à l’utilisation des différents accords de libre-échange (ALE) conclus par la Suisse – SECO
  3. Liste des pays classés selon leurs tarifs douaniers – wikipedia
  4. Lit d’hôpital pour 1000 habitants – base de donnée de la Banque mondiale
  5. Mercosur études d’impact fragmentéesIsolda Agazzi – Alliance Sud 2020
  6. L’OMC fait du tourisme – public Eye 2006
  7. Néoprotectionnisme écologique: une nouvelle base pour la solidarité internationaleLara Baranzini – Ex Aequo n°88 – mars 2025.